L’aventure commence à Chasseradès, ce samedi 4 mai, vers 11 heures du matin. Le temps est pourri. Nous ne le savons pas encore mais une petite tempête de neige a même balayé la région un peu plus tôt.

Le GR 70 est très bien balisé et nous n’avons aucun mal à trouver notre chemin qui plonge vers la vallée étroite du Chassezac et son viaduc de pierre, le plus bel ouvrage d’art de la voie ferrée Mende – La Bastide. C’est une voie unique, parcourue par un autorail ultra-moderne, aux allures de TGV et que nous verrons passer paisiblement entre le viaduc et les galeries couvertes qui abritent la voie de la neige. Nous sommes à plus de 1200 mètres d’altitude.

Après le village de l’Estampe le chemin pénètre dans la forêt du Goulet et nous entamons une ascension parmi les hêtres et les pins. Le temps est toujours aussi incertain et hésite entre soleil, gouttes de pluie et flocons de neige. Après le passage du col (1416 mètres), le GR emprunte une large piste forestière qui dégringole vers le hameau abandonné de Serreméjan. C’est dans cette descente que Christine ressent une première alerte, son genou commençant à la faire souffrir. Serreméjan nous accueille dans un rayon de soleil. Les champs qui l’entouraient autrefois ont aujourd’hui disparu, engloutis par la forêt et seules une ou deux maisons et quelques ruines se dressent encore le long du chemin.

Le hameau de Serreméjan… et son rayon de soleil

Nous poursuivons notre route dans la forêt. Encore une descente et, cette fois, Christine ressent une vraie douleur. Il n’y a malheureusement plus de doute, la tendinite qui l’avait déjà fait souffrir sur le chemin de Compostelle s’est réveillée.

La descente devient un exercice pénible

Le ruisseau que nous suivons ensuite n’est autre que le Lot qui prend sa source dans le massif du Goulet.
Nous retrouvons la « civilisation » au hameau des Alpiers avant d’atteindre Le Bleymard au terme d’une descente qui se transformera en véritable calvaire pour Christine dont le genou n’est plus qu’un puits de douleur…

Extrait de « Voyages avec un âne dans les Cévennes »

Samedi 27 septembre 1878

… A la fin, le sentier traversa le Chassezac sur un pont et, abandonnant ce ravin profond, se dirigea vers le sommet du Goulet. Il allait vers Lestampes et grimpait en lacet au milieu des champs perchés dans la montagne et des bois de hêtres et de bouleaux ; à chaque détour, un point de vue nouveau me charmait. Dans le ravin de Chassezac, mon oreille avait été frappée par une rumeur semblable à celle qu’aurait produite un gros bourdon sonnant à la distance de plusieurs milles. Mais à mesure que je continuais à monter et que je m’approchais, le bruit semblait changer de nature. Je compris à la fin que c’était un berger qui conduisait ses troupeaux au son d’une corne rustique. L’étroite rue de Lestampes était pleine de moutons resserrés entre les maisons, des moutons blancs et des moutons noirs, qui bêlaient tous à la fois comme chantent les oiseaux au printemps, et chaque mouton accompagnait son bêlement du tintement de la clochette pendue à son cou.

(…) Ces sons touchants et purs emplissaient mon âme d’une vague attente d’inconnu, et il me semblait qu’après avoir franchi la crête de la montagne que je gravissais, j’allais descendre dans le plus beau jardin du monde. Je ne fus d’ailleurs pas déçu, car j’en avais fini maintenant avec les pluies, les vents et le morne paysage.

(…) Au sommet du Goulet, il n’y avait plus de route tracée, des pierres dressées de place en place guidaient seules les bergers. La mousse sous les pieds était moelleuse et parfumée. Je n’eus d’autre compagnie qu’une alouette ou deux et ne rencontrai qu’une charrette à bœufs entre Lestampes et Bleymar. En face de moi, je vis une vallée profonde au-delà de laquelle étaient les montagnes de la Lozère parsemées de bois, dont les pentes étaient très accidentées mais qui formaient sur l’horizon une ligne droite sans caractère.
Il y avait à peine trace de culture. Vers Bleymard seulement, la grande route blanche de Villefort à Mende traversait une suite de prairies, plantées de peupliers pointus : ça et là résonnaient les clochettes des troupeaux…