Encore une journée solitaire
Comme la veille, je marcherai seul. Christine a jugé plus raisonnable de ne pas faire l’étape encore aujourd’hui. Elle s’entraînera seule pour reprendre la route le lendemain. Avec 26 kilomètres de marche, cette étape est en effet la plus longue de la randonnée.
Ce matin, incroyable, il fait beau et Le Pont-de-Montvert est baigné de soleil ! la température, elle, est à la limite du zéro. Le chemin s’élève parmi les genêts fleuris au-dessus du village et de ses 3 vallées jusqu’au plateau du Cham de l’Hermet. Le GR s’écarte, en fait, de la route de Stevenson qui suivit la vallée du Tarn jusqu’à Cocurès puis Florac. A l’époque, la circulation automobile ne risquait pas de le perturber…
Sur le chemin qui monte vers le Cham de l’Hermet.
Arrivé au col de la Planette, j’ai retrouvé le temps grisonnant et pluvioteux des premiers jours. Je guette la présence des coqs de bruyères (tétras) réimplantés dans la région. Hélas, je les entendrai mais ne les verrai pas.
L’ancienne maison forestière de Champlong-de-Bougès.
Le chemin suit la ligne de crêtes et sort enfin de la forêt pour atteindre le signal de Bougès, point culminant du massif. Le temps est toujours aussi gris mais la vue de ces montagnes déclinant toutes les nuances du vert et se chargeant de bleu dans les lointains, est superbe.
Le Bougès
Après le col du Sapet et son menhir, le GR emprunte une piste, un peu monotone, qui longe le versant nord de la montagne pendant près de huit kilomètres avant de plonger vers le village de Bédouès. Pour ma part, je préfère prendre un bout du GR 68 qui descend directement sur Florac, m’épargnant ainsi les deux ou trois kilomètres de route nationale qu’emprunte le GR70 entre Bédouès et Florac.
Extrait de « Voyages avec un âne dans les Cévennes »
Lundi 29 septembre 1878
…Sur un bras du Tarn, s’élève Florac, siège d’une sous-préfecture. On y voit un vieux château, une allée de platanes, bien des coins de rue curieux et une fontaine d’eau vive qui descend de la montagne. La ville est réputée aussi pour la beauté de ses femmes et pour avoir été, ainsi qu’Alès, une des capitales des Camisards.
L’aubergiste me conduisit, après mon déjeuner, à un café voisin, et ma personne, ou plutôt mon voyage, devint l’unique objet de la conversation. Chacun avait un avis à me donner sur la route à suivre ; on alla chercher à la sous-préfecture même la carte du pays, et elle traîna longtemps au milieu des tasses de café et des verres de liqueur. Ces gens qui m’aidaient si obligeamment étaient pour la plupart protestants ; j’ai remarqué pourtant que les protestants et les catholiques se mêlaient avec facilité. Je fus surpris aussi de voir que tout le monde gardait un souvenir très vivant des guerres religieuses (…).
La guerre était leur sujet favori ; les exploits des luttes religieuses constituaient en quelque sorte leurs titres de noblesse. Un peuple est comme un homme ; quand il a dans son histoire une aventure unique, héroïque à ce point, la prolixité des récits est inévitable, et excusée d’avance. Mes compagnons me parlèrent donc de légendes qui couraient le pays et que personne n’avait encore recueillies ; ils m’apprirent que les descendants de Cavalier – non point des descendants directs, cela va de soi, mais des cousins et des neveux – étaient des gens aisés qui vivaient toujours sur le lieu des exploits du garçon boulanger devenu général. Un fermier avait vu les os des anciens combattants ramenés à la lumière une après-midi du XIXe siècle, dans un champ où les ancêtres avaient lutté et où les arrière-petits-enfants creusaient paisiblement un fossé…