Randonnée solitaire
La journée doit être marquée par l’ascension du sommet de Finiels (1699 mètres), point culminant du massif du Mont Lozère et de notre randonnée. Nous démarrons en douceur, cherchant à ménager au mieux le genou de Christine et progressons lentement… sur le mauvais GR. Il nous faudra 2 kilomètres pour le réaliser !
Retour à la case départ mais, cette fois, c’est trop douloureux, Christine abandonne… et saute dans un taxi qui passait par là.
Nous nous retrouvons deux heures plus tard à la station de ski du Mont Lozère pour le déjeuner. Le temps est couvert. De la station, nous voyons la base du sommet de Finiels, saupoudrée de neige, alors que la partie supérieure nous est masquée par un épais nuage qui semble bien accroché à la montagne.
Je repars seul sur le chemin millénaire, qui, de montjoie en montjoie, mène au col puis au sommet de Finiels.
Les croix de Malte, gravées sur quelques montjoies, témoignent des anciennes possessions de l’ordre hospitalier dans la région.
Un vent glacial, dont gants et bonnet me protègent tant bien que mal, balaie la pelouse dénudée du Mont Lozère. La neige est accrochée à tous le plis de terrain exposés au nord. Par une chance incroyable, le nuage qui noyait le sommet de Finiels s’est élevé et reste comme suspendu quelques dizaines de mètres plus haut, me laissant découvrir là le spectacle presque effrayant de cette butte pelée, enneigée et cernée de lignes de montagnes noires. C’est à mille lieues de la vision lumineuse qu’en avait eu Stevenson… J’apprendrai plus tard que les randonneurs passés par là quelques heures plus tôt n’on dû leur salut qu’à l’usage de boussoles. Témoins du climat montagnard, quelques jonquilles percent la légère couche de neige.
Sommet de Finiels : ciel menaçant, kern solitaire, ambiance lugubre…
Le chemin pique alors plein sud, traverse une forêt et rejoint le hameau de Finiels, cinq cent mètres plus bas. De là, je n’ai plus qu’à suivre l’ancien chemin de Finiels au Pont-de-Montvert qui serpente, entre genêts et pâturages, jusqu’au terme de cette étape magnifique.
Chemin de Finiels au Pont-de-Montvert : l’esthétique du veau.
Christine, elle, est arrivée depuis longtemps et a déjà eu le temps de visiter Le Pont-de-Montvert. C’est un lieu historique, témoin en 1702 du soulèvement des Camisards. Cette révolte protestante, conséquence de la révocation de l’édit de Nantes, commença ici par l’exécution de l’abbé du Chayla, au pied de la tour de l’horloge et, quelques mois plus tard, par celle, au même endroit, du premier chef camisard, Esprit Séguier. La guerre enflamma toute la région et dura plusieurs années.
Le Pont-de-Montvert : le pont sur le Tarn et la tour de l’horloge.
Extrait de « Voyages avec un âne dans les Cévennes »
Dimanche 28 septembre 1878
… Le sentier que j’avais pris la veille au soir s’effaça bientôt et je continuai à grimper sur l’herbe desséchée et rare, en suivant une rangée de bornes semblables à celles qui m’avaient conduit à travers le Goulet.
(…) Derrière moi, au nord, la vue sur le Gévaudan devenait à chaque pas plus étendue. C’est à peine si l’on apercevait un arbre ou une maison sur ces montagnes sauvages qui se déployaient au nord, à l’est et à l’ouest, toutes bleues et or dans la brume lumineuse du matin.
(…) Bien que j’eusse longtemps attendu ce moment, je fus tout à fait surpris lorsque mes regards découvrirent l’horizon par-delà le sommet. Je fis un pas qui ne semblait pas plus décisif que tant d’autres qui l’avaient précédé, et « comme l’intrépide Cortez quand, avec ses yeux d’aigle, il regarda le Pacifique », je pus croire que j’allais prendre possession d’un nouveau monde. En effet, au lieu de la pente herbeuse que j’avais gravie si longtemps, je contemplais maintenant le ciel vaporeux et, à mes pieds, un enchevêtrement de montagnes bleues.
Les monts Lozère courent à peu près de l’est à l’ouest, coupant le Gévaudan en deux parties inégales. Leur point culminant, ce pic de Finiels sur lequel je me trouvais alors, s’élève à plus de cinq mille six cents pieds au-dessus du niveau de la mer et par temps clair, la vue s’étend sur tout le bas Languedoc jusqu’à la méditerranée. J’ai entendu des gens qui prétendaient avoir vu, du haut du pic de Finiels, des voiles blanches qui cinglaient vers Sète et Montpellier. Derrière moi, au nord, s’étendait la région montagneuse que ma route venait de traverser, peuplée d’une race pesante, pays sans vastes forêts, sans pics grandioses, fameux seulement dans le passé par ses loups légendaires. En face de moi, à demi voilée par la brume ensoleillée, s’étendait un nouveau Gévaudan, varié, pittoresque, célèbre par ses luttes épiques. On peut dire que j’étais dans les Cévennes au Monastier, et tout le long de mon voyage. Mais, au sens strict du mot, seul le pays accidenté et hérissé qui s’étendait à mes pieds, méritait ce titre et c’est à lui que le réservaient les paysans. Ce sont les Cévennes par excellence : les Cévennes des Cévennes…