Dernière étape sous la pluie

Cette fois, ça y est, il pleut.
Bien sûr, il a plu un peu tous les jours depuis le départ de notre randonnée, mais aujourd’hui, nous partons dans le nuage.
Nous quittons le Serre de la Can dans un brouillard épais. A Saint-Germain, nous sommes sortis de la purée de poix, mais le nuage est toujours là, juste au-dessus, et il nous arrose copieusement. Premier arrêt, au troquet ; tous les randonneurs s’y sont donné rendez-vous et c’est un défilé permanent entre ceux qui arrivent et ceux qui repartent, désespérés de constater qu’il pleut toujours autant qu’à leur arrivée.

Ça, c’est du temps pourri !

Après Saint-Germain, le chemin suit la vallée du Gardon en surplombant la route départementale. Il pleut, Christine a mal au genou, il pleut, c’est désolant… Et puis, parfois, un rayon de soleil vient percer les nuages et la vallée se pare aussitôt de couleurs vives et chatoyantes. Mais bon, ça ne dure pas.

Éclaircie

A Saint-Etienne Vallée Française, nous ne sommes pas à la moitié de l’étape. Nous avalons notre pique-nique sous la terrasse couverte d’un café et prenons le temps de sécher un peu avant de repartir. Maintenant, l’orage gronde. Après Saint Etienne, nous empruntons le chemin qui monte vers le col de Saint-Pierre. C’est celui que prit Stevenson et il n’a pratiquement pas changé sinon que la forêt a repris ses droit sur les terres cultivées, aujourd’hui abandonnées. L’orage se fait pressant et finit par nous tomber dessus avant la fin de notre ascension. C’est donc la Totale…
Nous voilà enfin au col de Saint-Pierre, dégoulinant au bord de la route départementale. Et là, un couple de promeneurs motorisés et sympathiques nous propose gentiment de nous emmener jusqu’à Saint-Jean du Gard, à 7 kilomètres de là. Christine a de plus en plus mal au genou ; nous acceptons.

Et c’est ainsi que notre randonnée prit fin ici, aux confins de la Lozère et du Gard…
Nous arriverons à Saint-Jean du Gard en voiture et n’aurons que le temps de traverser la ville à pied avant de retrouver notre organisateur qui nous catapulte, d’un coup de Kangoo, à Florac que nous avions quitté 3 jours plus tôt… Merveilleuse civilisation !

Saint-Jean du Gard

Extrait de « Voyages avec un âne dans les Cévennes »

Jeudi 2 octobre 1878

… Saint-Germain-de-Calberte est une grande paroisse de neuf lieues de circonférence.
(…) C’est là que le pauvre Du Chayla, le martyr catholique, avait sa bibliothèque et tenait ses réunions de missionnaire ; c’est là qu’il avait fait construire son tombeau, pensant reposer au milieu d’une population reconnaissante qu’il aurait sauvée de l’erreur ; et c’est là qu’on l’apporta, le lendemain de sa mort, pour l’enterrer, son corps percé de cinquante-deux blessures. Vêtu de ses habits sacerdotaux, il fut exposé en grande pompe dans l’église. Le curé choisissant un texte du second livre de Samuel, chapitre 20, verset 12, « Et Amasias baignait dans son sang sur le grand chemin », fit un sermon émouvant, exhortant ses frères à mourir à leur poste comme leur malheureux et illustre chef. Au milieu de ces flots d’éloquence, le bruit courut qu’Esprit Séguier approchait ; et tenez ! toute l’assistance prit ses jambes à son cou, détalant aux quatre coins de l’horizon ; le curé lui-même s’enfuit jusqu’à Alès.

(…) L’imagination se figure difficilement que Saint-Germain-de-Calberte ait ainsi été le théâtre de tels bouleversements. Tout est maintenant paisibles et les pulsations de la vie humaine sont faibles et ralenties dans ce village des montagnes. Les gamins m’escortaient à distance respectueuse comme des chasseurs de lion craintifs. Les gens se retournaient pour me regarder une seconde fois ou sortaient de leurs maisons pour me voir passer : on eût dit que mon arrivée était le premier événement important survenu depuis le temps des Camisards. Leur attention n’avait rien de désobligeant ni d’insolent, ils me contemplaient simplement avec plaisir, avec une pointe de surprise, comme eussent fait des bœufs ou encore un tout jeune enfant ; et pourtant j’en fus vite fatigué et je me hâtai de quitter la rue.
Je me réfugiai sur les terrasses qui sont couvertes d’un tapis de gazon et j’essayai vainement de rendre avec un crayon le port majestueux des châtaigniers soutenant leur dôme de verdure. Par moment, un vent léger s’élevait et les châtaignes tombaient tout autour de moi sur l’herbe, avec un son faible et sourd : c’était comme le bruit menu que ferait une chute de grêlons, mais mon âme y mêlait un sentiment de douce sympathie à l’idée de la récolte qui s ‘amassait pour la plus grande joie des fermiers.

(…) Le temps de déjeuner, de boire mon café, il était plus de trois heures quand je quittai Saint-Germain-de-Calberte. Je descendis le long du Gardon de Mialet, large lit de torrent sans eau, et je traversai Saint Etienne de Vallée Française ou Val Francesque comme on a coutume de l’appeler. Vers le soir, je commençais à gravir la montagne de Saint-Pierre. Ce fut une ascension longue et pénible. Derrière moi, une voiture vide qui revenait à Saint-Jean-du-Gard me suivit de près et me rattrapa vers le sommet. Le conducteur était convaincu comme tout le monde que j’étais marchand ambulant, mais ce qui le distinguait des autres, c’est qu’il savait très bien ce que je vendais. Il avait remarqué la laine bleue qui pendait aux deux extrémités de mon paquet et il en avait conclu, avec une grande assurance, que je faisais commerce de ces colliers de laine bleue qui ornent l’encolure des chevaux de trait en France.
J’avais pressé Modestine autant que ses forces le lui permettaient, car je désirais ardemment jouir de la vue sur l’autre versant avant la tombée du jour. Mais il faisait nuit quand j’atteignis le sommet ; la lune claire montait dans le ciel ; quelques bandes gris-rosé, dernières lueurs du crépuscule, s’attardaient seules au couchant. Une vallée béante, envahie par les ténèbres, s’étendait à mes pieds comme un gouffre ouvert dans la nature…