La plus courte étape

Nous voilà partis pour l’étape la plus courte de la randonnée : à peine 13 kilomètres entre Cassagnas et Saint-Germain de Calberte. Du côté du ciel, rien d’original, du gris… La plus grande partie de la marche se fait dans la forêt de Fontmort, le long d’une large piste taillée au flanc de la montagne.

Sur la route royale du Plan de Fontmort.

C’est une route que fit tracer le roi de France peu après la révolte des Camisards. Construite à la sueur de fronts cévenols, elle permettait aux troupes royales de contrôler la région et d’acheminer rapidement renforts et canons en cas de nécessité. Volontairement, elle évite les villages et les hameaux, qu’elle surplombe.

Forêt de Fontmort : narcisses.

Arrivés au col de la Pierre Plantée, nous préférons abandonner le GR pour un chemin de Petite Randonnée qui nous emmène sur la crête des Rocs de Galta. Nous dominons la forêt cévenole qui continue à nous offrir sa gamme de nuances, allant du vert tendre des jeunes feuilles de hêtres aux teintes bleutées, presque noires des pins.

Notre sentier, accidenté mais pittoresque, rejoint le GR au Serre de la Can et nous découvrons qu’il s’agit, en fait, du terme de notre étape.
A peine fatigués, par cette balade d’une dizaine de kilomètres, nous reprenons le chemin pour une visite à Saint-Germain de Calberte, à 40 minutes de marche. Mauvaise idée, c’est une descente un peu raide qui réveille la tendinite de Christine. En plus, il se remet à pleuvoir…

Saint-Germain de Calberte

Extrait de « Voyages avec un âne dans les Cévennes »

Mercredi 1er octobre 1878

…C’était, peut-être, le site le plus sauvage de toute ma randonnée. Pics après pics, chaînes après chaînes surgissaient vers le sud, forés et comme ciselés par les torrents de l’hiver, vêtus de la tête aux pieds d’une fourrure de chataîgniers d’où émergeait, de temps à autre, une colonne de rocs abrupts. Le soleil, encore haut dans le ciel, auréolait d’une brume dorée la cime des montagnes, tandis que les vallées demeuraient plongées dans une ombre profonde et tranquille.

Un très vieux berger qui s’avançait et portait une sorte de noir bonnet phrygien – était-ce le symbole de sa libération prochaine par la mort ? – m’indiqua la route de Saint-Germain de Calberte. Il y avait quelque chose de solennel dans l’isolement de cet être informe et vénérable. Où habitait-il ? Comment était-il parvenu sur cette cime élevée ? Comment se proposait-il de descendre ? Cela dépassait ce que mon imagination pouvait concevoir. Non loin de moi, sur la droite, se trouvait le fameux Plan de Font Morte, où Poul, brandissant son sabre arménien, pourfendit et repoussa les Camisards de Séguier. Peut-être ce vieillard était-il un nouveau Rip van Winkle de cette guerre qui, fuyant devant Poul, avait perdu ses camarades et errait depuis lors à travers les montagnes. Qui sait si ce ne serait pas pour lui une nouvelle surprenante d’apprendre que Cavalier s’était rendu, ou que Roland était tombé en combattant, le dos appuyé contre un olivier ? Tandis que mon imagination battait ainsi la campagne, je l’entendis me héler d’une voix chevrotante et je le vis brandir un de ses deux bâtons pour me faire signe de rebrousser chemin. J’étais déjà à quelques distances de lui ; mais plantant là Modestine une fois de plus, je revins sur mes pas.
Hélas, ce n’était qu’une affaire des plus banales. Le vieillard avait oublié de demander au « colporteur » ce qu’il vendait et désirait réparer cet oubli.
Je lui répondis sèchement : « Rien. »
– Rien ? s’écria-t-il
Je répétai « rien » et je tournai les talons
Chose étrange, il est bien possible qu’après cet incident je sois devenu pour le vieillard un être aussi mystérieux qu’il l’avait été pour moi…